retour au menu L'invention de la monnaie



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Nous utilisons tous les jours de la monnaie, sans trop savoir d'où elle vient. Pour sûr elle ne pousse pas dans la nature, ça tout le monde le sait. Il s'agit d'une création humaine, on s'en doute. Mais d'où vient-elle ?

Quels développements de la civilisation sont à l'origine de la monnaie ?

Quelle est son histoire ?


Monnaie frappée par Alyattès, roi de Lydie entre 610 et 560 av JC.

Certains historiens de la monnaie font remonter son invention à la révolution néolithique (il y a 12.000 ans), d'autres au « miracle grec » (VIIième siècle avant JC). Ce n'est pas la même chose..

En fait comment tracer l'histoire de la monnaie si l'on ne s'entend pas sur sa définition. Qu'est-ce que la monnaie ? De quoi essaye-t-on de retrouver l'histoire ?

De mes lectures je sors très étonné du fait que tous les historiens, ou quasiment, confondent l'histoire « des supports qui ont servi de monnaie » et l'histoire de « la monnaie » elle même. C'est d'autant plus surprenant que tous font remarquer que l'invention de la monnaie oblige à la capacité préalable à dégager le dénominateur commun aux deux termes de l'échange. Ce que l'on appelle « l'abstraction de la valeur ».

Or si l'on identifie l'apparition de la monnaie à celle de l'usage de procédés consistant à représenter la valeur commune aux termes d'un échange, l'histoire de la monnaie ne peut pas se confondre avec celle des supports de cette représentation. Et encore moins, l'erreur me semble grossière, à l'histoires des pièces de monnaie.

Le fait est d'autant plus surprenant qu'aujourd'hui la majorité de la masse monétaire en circulation n'a pas de support. Cela aurait quand même dû mettre sur la piste !

Pour autant peut-on reprocher aux numismates historiens de s'être attachés à l'existence d'un support ? ... Toujours est-il que c'est du coté des historiens des mathématiques que l'on trouve les données les plus intéressantes. Rien d'étonnant, finalement, puisque les premières écritures sur tablettes d'argile étaient des écritures comptables, et que, comme nous allons le voir, l'humanité a inventé la monnaie scripturaire bien avant la monnaie métallique "fiduciaire".

Quelques uns, et unes, de mes collègues psy, ont essayé de trouver dans l'histoire de la monnaie de quoi consolider leurs théories. En gros il s'est agit, dans une approche qui doit à la linguistique structurale, de montrer le parallèle entre, d'une part, pensée concrète, temps cyclique (cycles agraires) et troc,  d'autre part, pensée abstraite, temps linéaire, et échanges monétaires. Séduisant, mais heureusement la psyché humaine ne se laisse pas aussi facilement réduire à théorèmes, sauf à arracher leur démonstration au forceps, ce qui est trop souvent le cas, au risque de graves caricatures de la vérité.

 En effet qui dit monnaie dit échange, échange dans des conditions certes différentes de celles convenues dans le troc, mais finalement pas si éloignées.

 

Le troc

Lors d'un troc un échange a lieu de façon immédiate ou différée dans le temps. Si l'échange est immédiat le seul problème à résoudre, mais qui n'est pas des moindres, est celui de l'équité de l'échange.

 

La mesure

Pour qu'un troc soit équitable, il convient que ceux qui s'échangent, par exemple, des chêvres contre du blé, soient capables de comparer un nombre X de chêvres et une quantité Y de blé. Et cela suppose non seulement d'être capable de compter des chêvres, de mesurer des quantité de blé, mais aussi de concevoir, et de s'entendre sur le dénominateur commun à ce comptage et à cette mesure. Donc cela impose la capacité à « penser » l'abstraction du nombre, puis de la valeur. Et cela s'est produit pendant des millénaires bien avant l'invention de l'agriculture, de  l'écriture et de la monnaie.


Os de loup muni de 55 encoches regroupées par 5 , retrouvé en Tchécoslovaquie, 30.000 ans avant JC.

Le plus vieux des documents arithmétiques date d'environ 35.000 ans avant JC. Il s'agit d'un péroné de babouin muni de 29 encoches.

Un autre document arithmétique, datant de 30.000 ans avant JC, est un os de loup muni de 55 encoches regroupées par 5, retrouvé en Tchécoslovaquie. On peut donc voir déjà un début de conceptualisation des nombres abstraits par une décomposition selon le principe de la base. Il s'agirait d'un décompte d'animaux abattus lors d'une chasse.

Os d'Ishango 

Un autre os, appelé « os d'Ishango », et datant d'environ 20.000 ans avant JC, a été découvert sur les berges du lac Edouard, entre l'Ouganda et la république démocratique du Congo. En plus des entailles, une analyse microscopique a permis de découvrir des marques suggérant un lien avec des phases lunaires.

[source :  C. et E. GILLON, Histoire de chiffres, site internet : http://histoiredechiffres.free.fr/IE5/compter/entaille.htm ]

Si l'échange est différé dans le temps (quand la contrepartie de l'échange est remise plus tard), il y a deux autres problèmes à résoudre : celui de la mémoire (comment concerver la mémoire certaine de la « dette » ?), et celui de la garantie de la mémoire (le tiers témoin, sans lequel la dette reste une histoire de « parole contre parole ».

Les chasseurs-ceuilleurs échangeaient déjà entre eux, tantôt de manière immédiate, tantôt de manière différée. Dans ce cas ils ont eu besoin de preuves. Les bâtons, ou os entaillés n'étaient pas que des moyens faciles de comptage. Partagé par le milieu, refendu, chaque moitié du bâton entaillé peut être remis à chacun des contractant, et cela constitue une preuve très facile à fabriquer, et très difficile, voire impossible à falsifier. C'est pourquoi ce moyen simple a été utilisé depuis plus de 30.000 ans : Un tel système servait encore en Angleterre au XIXe siècle pour certifier le paiement d'impôts ou comptabiliser les entrées et sorties d'argent. Les bâtons furent abolis en ... 1826....

[source :  C. et E. GILLON, Histoire de chiffres, site internet : http://histoiredechiffres.free.fr/IE5/compter/entaille.htm ]

Parenthèse étymologique :
Le procédé très simple de l'entaille pour sceller un contrat d'échange a donné son nom à un impôt : la « taille » royale ou seigneuriale.

L'invention de l'agriculture, le développement fulgurant des techniques d'irrigation, de sélection des espèces animales et végétales, ont entraîné au néolitique une véritable explosion de la quantité des échanges et surtout, surtout, de leur diversification. Diversification des produits échangés, des zones géographiques d'échanges, diversification aussi des modes d'échange, avec, notamment, des échanges de plus en plus fréquemment différés dans le temps, des échanges triangulaires (A donne à B, qui donne à C, qui donne à A), voire quadrangulaires, etc...

Globalement le néolitique a vu naître et s'accroitre de façon exponentielle la « complexité des échanges ».

Dans sa thèse de doctorat Marie Ange Cotteret explique :

« Il y a cinq mille ans, apparaissent presque simultanément, semble-t-il, le marché, l’écriture, l’école, la métrologie et le fonctionnement judiciaire. On peut supposer que ce n’est pas une coïncidence, mais un enchaînement logique. Tout part, semble-t-il, du développement des échanges. Au delà d’un certain volume d’échange, la parole donnée ne suffit plus à garantir la confiance, il faut consigner par écrit : on invente l’écriture. Alors, il faut apprendre à lire, écrire et compter : on invente l’école. Il faut aussi avoir confiance dans la quantité, mesurer ce que l’on échange : on invente les étalons et la métrologie. Enfin, il faut aussi avoir un arbitre en cas de litige : on invente les tribunaux. » 

« Ainsi, les principaux éléments de la civilisation que nous connaissons auraient été logiquement mis en place pour assurer la fiabilité de l’univers transactionnel naissant. Tout cela serait né en Mésopotamie, dans un pays qui aujourd’hui s’appelle l’Irak. »
[source : MA Cotteret, Métrologie et enseignement, thèse de doctorat
N° 0312495T, UFR Paris 8, mars 2003]

Indice monétaire

En Egypte, dès 2700 av JC , on utilisait un indice monétaire : le shat. Pas encore une monnaie, mais une unité abstraite qui trouvait sa "réalisation" avec une foule de marchandises, lesquelles, plus ou moins pratiques à transporter pouvaient servir à compléter un paiement ou à parfaire l'entente quant à l'évaluation des prix des marchandises échangée.

Le shat avait un multiple : le deben, lequel valait 12 shats.
Le quite valait un dizième de deben.
D'autres unités ont été utilisées : le Shâty, le Shenâ (ou Shenâou, Shenât, Shenâty), le Séniou, etc...

Ainsi dans un acte de vente, une maison située à proximité de la pyramide de Kheops avait été estimée à dix shats d'or, et vendue en échange de six shats de tissus et d'un lit d'une valeur de quatre shats.

Cette valeur étalon permettait la pratique du dépôt de garantie : pour échanger une chèvre contre du blé non encore récolté, il y avait un premier troc A donnait la chèvre à B contre 1/2 shat de tissus, puis B livrait 1/2 shat de blé et récupérait ses 1/2 shats de tissus.

Avec le temps certaines unités ont eu plus de succès que d'autres, ce fut le cas du deben. On sait aussi que la référence à des poids d'argent, d'or ou de cuivre est devenue de plus en plus fréquente. Ainsi le deben correspondait à environ 13,5g d'or dans l'ancien régime, puis environ 90g.

Un esclave a été négocié "2 debens d'argent et 60 de cuivre". Dans ce cas le deben est une unité de poids. Le recours aux trois métaux (or, argent, cuivre) permettait donc d'avoir 3 monnaies, équivalent de nos multiples et sous multiples.

Dans la pratique avec ce système très souple, le commerce ne souffrait jamais du manque de métal. S'il venait à manquer on utilisait n'importe quel autre référentiel (céréales, tissus, huile, poisson, dattes, légumes, etc...).
 

L'Egypte ancienne a donc utilisé une pure abstraction de la valeur près de 1500 ans avant de battre sa première monnaie vers le VIième siècle av JC.

[cf Bernadette Menu, Egypte pharaonique, nouvelle recherche sur l’histoire juridique, économique et sociale de l’Ancienne Egypte, Harmattan]

La lettre de change

Au musée du louvre, dans la section « mésopotamie », on trouve des bourses d'argiles encore pleines de calculi et revêtues des sceaux des contractants. Les calculi (c'est de là que vient notre mot calcul) étaient de petites figurines simplifiées représentant la nature des produits échangés (figurines en forme de têtes de vaches), ou bien de simples billes.

« L’ensemble : bulle, sceau-cylindre, calculi composait un moyen d’enregistrer une transaction, un transfert de biens. »

On a retrouvé, à Nuzi (mésopotamie), une bourse d'argile creuse qui est déjà une évolution de cette première forme. En surface on trouve l'inscription « objet contenant des moutons et des chèvres », puis l'énumération :
« 21 brebis qui ont déjà eu des petits
« 6 agneaux femelles
« 8 béliers adultes
« 4 agneaux mâles
« 6 chèvres qui on déjà eu des petits
« 1 bouc
« 2 chevrettes ».
A l'intérieur il y a 48 boules d'argile cru.
[source : JC Duperret, Mathématiques et valeurs, ESEN, 31 janvier 2008]

« Enfin, à l’étape suivante, les bourses d’argile sont pleines et ne contiennent plus de calculi. Les quantités représentées auparavant par des calculi sont uniquement  «écrites » à l'extérieur. L’écriture servit en premier lieu à «écrire » des quantités. »
[source : MA Cotteret, Métrologie et enseignement, thèse de doctorat
N° 0312495T, UFR Paris 8, mars 2003]

Aujourd'hui, une lettre de change est un effet de commerce dans lequel une personne désignée, le tireur, donne l’ordre à une autre personne désignée, le tiré, de régler à une date convenue, une somme déterminée, à un bénéficiaire nominalement désigné ou au porteur de la lettre.

L'humanité a donc inventé la lettre de change avant la monnaie, mais quelle est la différence entre les deux ?

Avoirs et dettes "en comptes" ... 2000 ans av JC !

La monnaie virtuelle ou scripturaire a réellement précédé l'usage de supports uniques (coquillages, pièces frappées, etc...) de mille ans au moins.

La civilisation Sumérienne était bien plus élaborée et sophistiquée qu'on ne l'imagine souvent. L'archéologie nous a livré des documents en nombre considérable (des centaines de milliers de tablettes d'argile). Le déchiffrage de l'écriture cunéiforme nous permet aujourd'hui un retour vers le passé, presque comme si nous y étions.

Et que découvrons nous ?

Une administration efficace, puissante et tatillonne, présente à tous les étages et dans tous les domaines de la société, qui notait et surtout "comptait" et recomptait tout, qui était garante des avoirs et des dettes de tous les citoyens.

"On a retrouvé à Tellô plus de 80 000 tablettes datant du règne de Goudéa, prince de Lagash (Tellô), 2 500 ans av. J.C. On a également mis à jour des comptes intéressants à Ur. Ils montrent que l'industrie métallurgique, l'industrie textile, le bâtiment, la fabrication des parfums étaient développés et que la comptabilité suivait étroitement la production."

Du point de vue technique : "La technique d'enregistrement des comptes évolua durant ces quatre millénaires (de 6000 à 2000 av JC). Joseph H. Vlaemminck (1956) note qu'au point de vue de l'écriture, les textes de la IIIe dynastie d'Ur (IIIe millénaire av. J.C.) que l'on possède en grand nombre, présentent un net progrès.

Dès cette époque, les tablettes distinguent tous les éléments caractéristiques d'un compte : la nature des objets de la transaction, le nom des contractants, les quantités livrées, les montants totaux. De nombreuses tablettes vont même plus loin, en indiquant la situation de la période précédente (solde), les augmentations séparées des diminutions et le solde de fin de période. Ces comptes sont du type "à postes superposés", c'est-à-dire comportant les augmentations en haut et les diminutions en bas ou vice-versa."

Il faudra attendre le moyen-âge en Italie du nord pour que l'on réinvente ces techniques.

Sur le fond : la valeur est comptabilisée en quantité de matière (orge, laine, huile, "qa de blé", etc...), ou en quantité de métal précieux, le plus souvent l'argent ("mine d'argent", "sicle d'argent", "ché d'argent", ...). Sont comptabilisés : la production, les stocks et les échanges de richesses, les avoirs et les dettes, mais aussi les intérêts de prêts", comme en témoignent en particulier les articles 100 à 105 du Code d'Hammourabi (environ 1800 av JC).

Ce code, qui se trouve au Musée du Louvre, avait été copié et recopié sur des tablettes, de sorte qu'il a été possible de le reconstituer dans sa quasi intégralité. Mais d'autres l'avaient précédé, dont on ne connaît que des fragments : Code de Dadusha (vers 1900 av. J.C), Code de Lipit-Ishtar (vers 1930 av. J.C.), Code d'Ur-Nammu (vers 2100 av. J.C.). Celui d'Urukagina (vers 2350 av JC), est mentionné dans plusieurs tablettes mais n'a jamais été retrouvé.

Tous ces documents, d'une incroyable modernité, fixaient la jurisprudence des pratiques que l'on retrouve dans les tablettes. Ils attestent l'existence de monnaies virtuelles, monnaies scripturaires successives et de l'organisation rigoureuse de véritables institutions de tenues de comptes : les temples, qui faisaient donc office de banques.

Ils décrivent aussi l'organisation de la formation des personnels chargés de faire fonctionner tout ça.

[source : Jean-Guy Degos : "La Mésopotamie berceau de la finance et de la comptabilité"  in "Cahiers de l'Institut de Recherche en Gestion des Organisations" Université de Bordeaux 4 ]

La monnaie

La monnaie n'est rien d'autre qu'une « lettre de change étalon », c'est à dire, une représentation conventionnelle d'une quantité de valeur. Ainsi la monnaie a pu dès les origines avoir pour supports des coquillages, des broches, des haches, du sel, des jetons métalliques frappés, ... mais aussi de simples écritures, celles par lesquelles on reconnaissait une dette.

Dès le début donc, la monnaie n'est qu'un moyen particulier de régler une dette. Cette propriété qui semble une lapalissade est à rapprocher des modes successifs d'émission de la monnaie, de création monétaire. Longtemps la monnaie a eu des équivalents qui garantissait sa valeur nominale de manière directe (équivalent monnaie / or), ou indirecte (monnaie / dollar / or). Aujourd'hui, dans une sorte de retour aux sources, la seule contrepartie de la monnaie est la somme des dettes courantes publiques et privées.

Parenthèse étymologique :
« salaire » vient du sel donné en salaire aux soldats romains ;
« obole » vient du grec obolos = petite broche (qui servait de monnaie) ;
« monnaie » vient de Juno Moneta, littéralement Junon la Conseillère ; le mot est resté car l'endroit où Rome frappait sa monnaie jouxtait le temple de Juno Moneta ;
« financer » vient du latin finis = fin, terme ; ce qui évoque la fin de l'échange, c'est à dire le remboursement de la dette ;
« sou » vient du latin solidus = solide ; parce que le sou résistait au feu et à l'inflation... La même racine latine a donné solde et soldat ; le soldat est donc celui qui touche la solde...

En fait, la différence entre la monnaie et les bourses d'argile mésopotamiennes tient en quatre points :

1- Les protagonistes de l'échange n'y sont plus désignés ;
2- Les produits échangés ne sont plus précisés ;
3- Le solde de l'échange est reporté sine die ;
4- L'acceptation de la monnaie empêche définitivement tout recours contentieux.

Ce quatrième point est important car contrairement à la bourse d'argile revêtue des sceaux qui servait de preuve devant un tribunal, « l'argent n'a pas d'odeur ». Son utilisation repose entièrement sur la confiance que l'on a en ce qu'il représente.

La monnaie, les bourses d'argile, et le troc

1 - L'invention puis l'usage de la monnaie, et ce dès les origines, reposent donc sur deux piliers : dette et confiance.

Parenthèse étymologique :
« crédit » vient du latin credere = croire, avoir confiance ;
« débit » vient du latin debitus = ce qui est dû, dette.

2 - L'invention et l'usage de la bourse d'argile des mésopotamiens reposait (seulement) sur la notion de preuve de la dette. La confiance n'était pas encore totalement au rendez-vous.

3 - Le recours au troc ne suppose que l'acceptation instantanée d'une valeur commune.

On notera que lorsque l'on « marchande », on ne fait que discuter de « la valeur commune » aux termes de l'échange (la monnaie que j'ai en main, contre la marchandise que je convoite), comme dans le troc...


Conclusion :

Quand on parle de monnaie et d'abstraction, il faut raison et rigueur garder. La réalité historique résiste parfois aux théories les plus séduisantes séductrices. La capacité des humains à détacher la valeur des produits échangés et à la discuter est bien antérieure (plus de 20.000 ans) à l'invention de la monnaie, laquelle a essentiellement été une simplification juridique et administrative. Simplification mais aussi nécessité puisqu'avec le développement des infrastructures publiques (imposé par l'intensification et la complexification des échanges), il a bien fallu songer à les financer ... (d'où la dîme, c'est à dire le prélèvement du « 10ième » du montant de la transaction).

Quant à la circularité du « temps agraire » qui renverrait à l'immédiateté tandis que la linéarité des échanges monétaires conduirait à l'abstraction, c'est faire abstraction du fait que l'abstraction du nombre et de la valeur ont également devancé de 20.000 ans (au moins) l'invention de l'agriculture, de l'écriture et de la monnaie. Mais c'est aussi faire fi de la notion du temps telle qu'on la connait d'une part chez les mésopotamiens (ils connaissaient le cycle de la précession des équinoxes qui est de 25770 ans !), d'autre part chez les « négociants » en produits agro-alimentaires d'aujourd'hui, lesquels, malgré la bourse, doivent encore attendre les récoltes ... cycliques.

La découverte du cycle de la précession des équinoxes est classiquement attribuée à Hipparque de Nicée vers 130 avant JC.

Mais tout porte à croire que ce cycle était connu plusieurs millénaires avant lui. En effet les passages mythologiques de l'Ere du Taureau, à celle du Bélier, à celle du Poisson, puis à celle du Verseau étaient annoncés avec une périodicité de 2000 ans environ. Elle est de 2148 ans.

Dans l'Evangile de Luc (22,7 à 22,14) on lit :
« Le jour des pains sans levain, où l'on devait immoler la Pâque, arriva,
« et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant: Allez nous préparer la « Pâque, afin que nous la mangions.

« Ils lui dirent: Où veux-tu que nous la préparions?

« Il leur répondit: Voici, quand vous serez entrés dans la ville, vous « rencontrerez un homme portant une cruche d'eau; suivez-le dans la « maison où il entrera,

« et vous direz au maître de la maison: Le maître te dit: Où est le lieu où « je mangerai la Pâque avec mes disciples?

« Et il vous montrera une grande chambre haute, meublée: c'est là que « vous préparerez la Pâque.

« Ils partirent, et trouvèrent les choses comme il le leur avait dit; et ils « préparèrent la Pâque.

« L'heure étant venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui. »
Luc, 22, 22 :
« Le Fils de l'homme s'en va selon ce qui est déterminé. »

Que ce soit pour les chasseurs-ceuilleurs du paléolithique, les agriculteurs du néolithique, ou les boursicoteurs de wall street, le temps est cyclique parce que la terre tourne autour du soleil et qu'ils dépendent également des cycles saisonniers, climatiques, stellaires. La conscience diffuse, l'intuition, qu'ils peuvent en avoir est révélée pour les anciens temps par la prédominance absolue des cultes solaires, et pour l'époque moderne par la persistance des calendriers religieux, et de l'astrologie.

Quant aux Egyptiens, leur indice de valeur, pure abstraction, leur permettait de commercer dans un système économique entièrement rythmé par les crues, cycliques, du Nil...

De même la propriété de la monnaie à produire elle même de la monnaie n'est pas une propriété qui la distingue des rapports antérieurs de l'homme à sa capacité à produire de la valeur. Le cheptel avait déjà la propriété de se reproduire, et c'est l'optimisation de cette faculté qui a constitué le saut qualitatif et quantitatif du néolitique. Le sumérogramme MÁŠ désigne le "croît" ; c'est aussi bien l'intérêt d'une somme d'argent que les jeunes bêtes d'un troupeau (cf A. FINET, op.cit. p134). Le mot « cheptel » vient du latin capes, capitis = tête (de bétail). Le latin capitis a aussi donné « capital ». Le latin pecus = bétail a donné les mots « pécunier » et « pécule ». 

Bibliographie

MA COTTERET, Métrologie et enseignement, thèse de doctorat N° 0312495T, UFR Paris 8, mars 2003.

Jean-Guy DEGOSLa Mésopotamie berceau de la finance et de la comptabilité, in "Cahiers de l'Institut de Recherche en Gestion des Organisations" Université de Bordeaux-4.

JC DUPERRET, Mathématiques et valeurs, ESEN, 31 janvier 2008.

André FINET, Le Code de Hammourabi, Ed. du Cerf, 5e Ed., Paris 2004.

C. et E. GILLON, Histoire des chiffres, site internet : http://histoiredechiffres.free.fr/IE5/compter/entaille.htm

Bernadette MENU, Egypte pharaonique, nouvelle recherche sur l’histoire juridique, économique et sociale de l’Ancienne Egypte, Harmattan

Alain TESTART , Jean-Jacques GLASSNER , François THIERRY , Bernadette MENU : Aux Origines de la Monnaie, Ed. Errances, Paris 2002.

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Qu'est-ce que la Monnaie ?


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